Les jeunes et le permis de conduire : en marche vers des comportements de mobilité plus sains?

Dimanche 10 avril 2016
Mobilité durable, Mobilité durable, Mobilité durable
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Louiselle Sioui
ingénieure civile
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)
Brigitte St-Pierre
Directrice par intérim de la Modélisation des systèmes de transport
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)
Dieunedort Tiomo
Analyste en transport
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)
Fadi Jarouche
Agent de recherche et de planification socioéconomique
Ministère des Transports et de la Mobilité Durable (MTMD)

Introduction

Le permis de conduire a été très longtemps considéré comme un instrument au service de l’expression de la liberté individuelle. Mais depuis les trois dernières années, plusieurs études à travers le monde s’accordent sur le fait que ce symbole par excellence de la liberté devient désormais moins attirant chez les jeunes dans plusieurs des pays industrialisés (Canada, France, Norvège, États-Unis, Suède). En 2011, Michael Sivak et Brandon Schoettle, de l’Institut de recherche en transport de l’Université du Michigan, ont montré que les moins de 40 ans étaient de plus en plus enclins à se passer non seulement de la voiture, mais aussi du permis de conduire. Entre 1983 et 2010, ils observent qu’aux États-Unis, la proportion des détenteurs de permis de conduire est passée de 92 % à 80 % chez les jeunes de 20 à 24 ans. Cette tendance à la baisse est aussi visible chez les jeunes adultes de 18 et 19 ans qui ont vu leur proportion de titulaires de permis de conduire passer respectivement de 80 % à 60 % et de 87 % à 70 %.

La baisse est encore plus spectaculaire chez les jeunes de 16 et 17 ans. En 2010, les Américains de ces deux groupes ne sont plus que 28 % et 46 % respectivement à posséder un permis de conduire contre 46 % et 69 % en 1983. Toujours selon cette étude, la situation reste assez mitigée au Canada. Si, pour la période de 1999 à 2009, les auteurs montrent que la tendance est à la baisse chez les 25-54 ans, la situation est restée stable pour les moins de 25 ans. Selon un rapport de la firme KPMG, 76 % des Français âgés de 18 à 29 ans possédaient le permis de conduire il y a vingt ans, mais en 2012, on n’en comptait plus que 73 %.

Alors que, dans plusieurs pays industrialisés, on note le déclin du permis de conduire, qu’en est-il spécifiquement du Québec? Et plus particulièrement de la grande région de Montréal (GRM)? Si cette tendance s’observait au Québec, serait-on en droit d’espérer que les jeunes se tournent désormais vers des modes de déplacement plus actifs et, par conséquent, saisissent l’occasion d’être physiquement actifs de façon régulière?

 

Approche analytique

Pour tenter de répondre à ces questionnements, nous avons, d’une part, exploité des données provenant des fichiers administratifs de la Société de l’assurance automobile du Québec, notamment les statistiques sur les titulaires d’un permis de conduire couvrant la période de 1996 à 2013. Afin de mesurer la proportion des titulaires de permis pour une classe d’âge donnée, ces statistiques ont été mises en relation avec les  données de l’Institut de la statistique du Québec sur l’estimation de la population selon la classe d’âge et le sexe. Le territoire d’analyse est celui de l’Enquête Origine-Destination de Montréal 2008 (figure 1) qui représente près de la moitié de la population du Québec.

D’autre part, nous avons analysé les données issues des Enquêtes Origine-Destination (O-D) de 1993 à 2008 qui renseignent sur les habitudes de déplacement des résidents de la région métropolitaine de Montréal. L’analyse de ces données s’est faite essentiellement afin de mesurer l’utilisation des différents modes de transport et leur évolution. Le territoire couvert se rapporte au territoire complet de chacune des enquêtes.

Dans cette étude, nous considérons que les déplacements réalisés à l’aide du transport en commun constituent également une forme de déplacements actifs car, à tout moment, leur utilisation implique la marche en amont et en aval des arrêts d’autobus ou de stations de métro et de train. En effet, le temps de marche réalisé lors d’un déplacement à pied ou pour se rendre à un arrêt de transport collectif contribue à l’atteinte de la durée d’activité physique quotidienne recommandée par Santé Canada (10 000 pas par jour ou 30 minutes d’exercice). Cette contribution est d’autant plus importante à notre époque où les modes de vie sont très sédentaires et où l’on parle d’une épidémie d’obésité.

 

Analyse des résultats

Le permis de conduire

Entre 1996 et 2013, de façon générale, le taux de détention de permis de conduire passe de 71 % à 73 % dans la GRM (figure 2A). Ce taux est plus faible pour les résidents de l’île de Montréal, 60 % environ au cours de la période (figure 3A), tandis qu’il est plus élevé au fur et à mesure qu’on s’éloigne de l’île. En effet, le taux dans les banlieues immédiates est resté relativement stable (78 %) (figures 3B et 3C) alors que, dans les couronnes, il est passé de 83 % à 86 % au cours de la même période (figures 3D et 3E). Cependant, on note un déclin de 68 % à 61 % de ce taux chez les jeunes de moins de 35 ans de la GRM. Ces jeunes seraient tentés d’obtenir leur permis de conduire quelques années plus tard qu’auparavant. Mais cette tendance ne s’observerait que récemment dans les couronnes. Dans le même temps, le taux de détention des 35-54 ans est demeuré relativement stable tandis que, chez les plus âgés (55 ans et plus), il n’a cessé de croître. Cette croissance s’expliquerait essentiellement par l’accroissement de la détention de permis de conduire des femmes (figure 2C). En effet, durant la fin du XXe siècle, elles ont accédé au marché du travail et, de fait, à la motorisation durant leur vie active. Elles conservent ces acquis une fois arrivées à des âges plus avancés, tout comme les hommes le font depuis toujours.

À l’inverse de certains pays industrialisés où l’on note une désaffection des jeunes pour le permis de conduire, la tendance, bien que présente dans la GRM, demeure mitigée. Si elle est bien perceptible dans l’île de Montréal et ses banlieues immédiates (Laval et Longueuil), ce n’est pas le cas dans les couronnes. Comment ces différences de la  possession du permis de conduire influencent-elles les comportements de mobilité?

 

Des caractéristiques distinctes de la mobilité selon la possession ou non d’un permis de conduire et la zone de résidence

D’après les enquêtes O-D de Montréal (1993 à 2008), on note un changement réel de comportement de la mobilité des jeunes de façon générale. Le transfert des déplacements en automobile vers le transport en commun (TC) est déjà amorcé depuis quelques années. Les jeunes qui vivent dans les couronnes sont moins susceptibles que ceux vivant sur l’île de Montréal, à Laval et à Longueuil à s’adonner au transport actif.

Quand on tient compte de la possession d’un permis de conduire ou non (figures 4A et 4B), on se rend à l’évidence que les jeunes qui n’ont pas de permis de conduire sont plus enclins à se déplacer par les modes TC et actifs que ceux possédant un permis de conduire, et ce, quelle que soit la zone de résidence. Au cours de la période 1993 à 2008, la part relative des déplacements TC et actifs des jeunes n’ayant pas de permis de conduire est restée le double de celles des jeunes qui en ont un.

En tenant compte de la zone de résidence, on s’aperçoit qu’en moyenne, au cours de la période, moins de 15 % des déplacements des jeunes de 16 à 24 ans résidant dans les couronnes s’effectuent en TC tandis qu’un déplacement sur deux des autres jeunes de la même classe d’âge est réalisé en TC. La situation est presque similaire pour l’utilisation des modes actifs. En effet, seuls 6 % des déplacements des banlieusards sont réalisés par ces modes contre 15 % pour les citadins des grandes villes.

La différence observée dans ces comportements de mobilité entre les zones de résidence n’est guère surprenante. Elle témoigne du niveau inégalé d’aménagements et de services en ville comparativement à la banlieue, ce qui est susceptible d’encourager ces modes de transport. Les zones périphériques se prêtent peu à des déplacements réalisés autrement qu’en voiture et l’accès à un véhicule privé devient quasi essentiel.

 

L’évolution des comportements de mobilité active

Les quatre enquêtes O-D effectuées entre 1993 et 2008 montrent que les jeunes de la GRM sont moins dépendants de l’automobile. En effet, la part des déplacements effectués par des conducteurs baisse de 34 % en 1993 à 32 % en 2008 pour les jeunes âgés de 16 à 24 ans et de 61 % à 57 % pour ceux dont l’âge est compris entre 25 et 34 ans. La part des déplacements en tant que passager d’une automobile est également en baisse : elle passe notamment de 12 % à 8 % pour les 25-34 ans. En conduisant relativement moins, les jeunes ne semblent donc pas profiter davantage de la disponibilité d’un véhicule au domicile pour se faire accompagner. Parallèlement, on observe une légère tendance à moins de mobilité chez les jeunes puisque la proportion de ceux qui n’effectuent aucun déplacement dans une journée augmente de 2 %. Ce sont surtout les déplacements utilisant le transport en commun qui gagnent en part relative en passant de 32 % à 36 % des déplacements des 16-24 ans et de 15 % à 20 % de ceux des 25-34 ans. Cette utilisation accrue du transport en commun est probablement influencée par l’augmentation de l’offre de service et par des mesures favorisant l’utilisation du transport en commun telles que l’intégration tarifaire et la Politique québécoise du transport collectif (MTQ, 2006) reconduite sous le nom de Stratégie nationale de mobilité durable (MTQ, 2014). Un découpage plus fin permet de confirmer ces tendances métropolitaines sur l’île de Montréal, à Laval et à Longueuil, mais pas dans les couronnes.

 

Les jeunes deviennent-ils vraiment plus actifs ?

Le taux de possession d’un permis de conduire chez les jeunes de 16-34 ans diminue entre 1996 et 2013 particulièrement pour les résidents de l’île de Montréal, de Laval et de Longueuil. Il semble donc que ces jeunes retardent le moment d’obtenir un permis de conduire. De plus, les personnes n’ayant pas de permis ont des parts modales de transport actif et collectif plus élevées. Ainsi, lors de leurs déplacements, les jeunes sans permis de conduire ont forcément des comportements de mobilité plus actifs. Cela augmente leur chance d’être en meilleure santé. Ils contribuent également à la réduction des émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre (GES). Une diminution des émissions de GES réduit les îlots de chaleur dans les quartiers et les changements climatiques, qui peuvent entraîner des problèmes de santé publique. De plus, la présence moindre de polluants dans l’air atténue les épisodes de smog et améliore la qualité de l’air, qui cause notamment des problèmes respiratoires et cardiovasculaires.

Le constat précédent ne signifie pas forcément que les jeunes sont plus actifs. En effet, on note avec les enquêtes O-D que la proportion des non-mobiles ne cesse de croître. Sivak et Schoettle en 2013 montrent l’existence d’une association très forte entre le déclin du nombre de permis de conduire et l’augmentation de l’utilisation d’Internet. Ainsi, les jeunes auraient moins besoin de se déplacer, car ils substituent le contact virtuel au contact réel. Et, par conséquent, ils échapperaient de façon significative à des occasions d’être mobiles et actifs. De plus, parmi les raisons évoquées par cette étude pour bouder le permis de conduire, la préférence aux modes actifs et collectifs n’apparaît pas parmi les principales raisons.

Quoi qu’il en soit, il serait opportun de poursuivre cette analyse sur une plus longue période, notamment en suivant l’accès au permis de conduire et les comportements de mobilité des cohortes de jeunes. Dans quelques années, il sera également possible de vérifier si ces jeunes conservent des comportements moins dépendants de l’automobile, même après l’obtention du permis de conduire. 

 

Références

1. Audrey Garric (15 mai 2013). Grâce à Internet, les jeunes Américains conduisent moins. Le Monde, consulté le 15 décembre 2014, tiré de http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/05/14/grace-a-internet-les-jeunes-americains-conduisent moins_3202017_3244.html#lHWX7Di9KMZq1Pzj.99

2. Elisabeth Rosenthal (29 juin 2013). The End of Car Culture. New York Times, consulté le 18 novembre 2014, tiré de http://www.nytimes.com/2013/06/30/sunday-review/the-end-of-car-culture.html?pagewanted=all&_r=0

3. KPMG (14 novembre 2012). Permis de conduire des jeunes : les raisons du déclin. Décryptages newsletter, consulté le 23 décembre 2014, tiré de http://www.kpmg.com/fr/fr/issuesandinsights/decryptages/pages/permis-de-conduire-des-jeunes.aspx

4. Sivak, M. and Schoettle, B. (2011). Recent changes in the age composition of drivers in 15 countries. Traffic Injury Prevention, 13, 126-132.

5. Sivak, M. and Schoettle, B. (2012). Update: Percentage of young persons with a driver’s license continues to drop. Traffic Injury Prevention, 13, 341.

6. Sivak, M. and Schoettle, B. (2013). The Reasons for the Recent Decline in Young Driver Licensing in the US. (Report No. UMTRI-2013-22).

 

Sur la toile

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