(Montréal) La crise de la COVID-19 a mené des gens à la rue. Au square Cabot, en plein centre-ville de Montréal, un organisme qui œuvre auprès des sans-abri dit voir de nouveaux visages jour après jour. Et le virus a compliqué la vie, déjà fort difficile, des itinérants.

À Oly, la COVID-19 a enlevé sa principale source d’argent : il recueillait des bouteilles et des canettes et récoltait des sous en échange. Au pire de la pandémie, ce n’était plus possible alors que les épiceries et dépanneurs ne les reprenaient plus pour des raisons sanitaires.

Le jeune homme qui exhibe des tatouages colorés a dû se débrouiller autrement et vient entre autres prendre des repas au square Cabot, situé au coin des rues Atwater et Sainte-Catherine.

Mercredi, des travailleurs de la Croix-Rouge y étaient pour y distribuer des vivres, à des dizaines de personnes s’y trouvant. Depuis quelques semaines, ils ont pris la relève, à la demande de la Ville de Montréal.

Avant eux, l’organisme communautaire Resilience Montréal a distribué d’innombrables repas. Son équipe est toujours présente dans le parc, et distribue des vêtements, ainsi que du désinfectant et des masques afin que les itinérants puissent, eux aussi, se protéger du virus.

Un autre problème vécu au quotidien par les sans-abri pendant cette période de la COVID-19 ? Trouver des toilettes. La fermeture des centres commerciaux et des restaurants les a privés de toilettes, mais aussi d’endroits pour se mettre à l’abri de la pluie, du mauvais temps ou s’acheter un café bon marché. La plupart sont maintenant rouverts, mais les gardiens de sécurité qui contrôlent les entrées découragent.

Ici, dans le parc, se trouvent les seules toilettes publiques extérieures entre Atwater et la rue Peel — 1,5 km plus loin —, a indiqué un homme de 48 ans, que ses amis appellent « le Che » à cause de sa barbe.

Et puis, beaucoup de services pour les sans-abri ont abruptement cessé à cause du virus. Une église, tout près, qui nourrissait ceux dans le besoin, a fermé ses portes, dit-il.

« Le Che » est un habitué du square Cabot. Au début de la crise, en mars et avril, il y avait beaucoup plus de monde qu’à l’habitude — et plus de ressources aussi pour les aider, dit-il.

« Mais maintenant, ça a diminué. Il n’y en a pas assez. »

Au plus fort de la pandémie, Resilience Montréal avait jusqu’à 20 tentes bleues qui abritaient les travailleurs, les victuailles et les itinérants, dans la glace printanière qui fondait. Il n’en reste qu’une.

La crise sanitaire a frappé durement des gens déjà vulnérables. David Chapman, le coordonnateur de Resilience Montréal, le constate sur le terrain.

« Je vois de nouveaux visages tous les jours dans le parc. Certains qui avaient des emplois les ont perdus et y arrivent après avoir épuisé tout leur argent. Ceux qui vivent de chèque de paie en chèque de paie », a-t-il expliqué au milieu du square, portant le brassard orange qui identifie les intervenants.

Les locaux de l’organisme sont trop petits pour accueillir tous ceux qui ont besoin d’eux, tout en respectant les règles de distanciation physique. Pour n’échapper personne, ils ont établi leur quartier général dans le square Cabot.

« D’être dans le parc, cela nous a permis de mieux rejoindre les gens. On peut en aider plus. Et comme on a plus d’espace, c’est plus sécuritaire.

“Beau temps mauvais temps on est ici, depuis mars. »

En plus de donner des masques, les travailleurs en profitent pour offrir aux sans-abri des conseils pour prévenir la propagation de la COVID-19 et les accompagnent aux cliniques pour se faire tester. Ils doivent rester sur place, dans un hôtel, jusqu’à ce qu’ils reçoivent les résultats, a expliqué M. Chapman.

Étrangement, la pandémie a ainsi donné une certaine stabilité à certains, qui ont eu une chambre propre pendant ce temps, a-t-il expliqué, pendant qu’il offre des cigarettes à des hommes venus en demander.

Il croit que leurs efforts, combinés à ceux des autorités sanitaires et de la ville, ont porté fruit : une seule personne reliée à ce parc a contracté la COVID-19, a-t-il soutenu.

Il se désole toutefois de la pression faite par des résidants, qui n’ont pas vu d’un bon œil l’affluence dans le parc en avril. Autour, les tours de condos pour une clientèle bien nantie sont en train de s’élever.

Mais si on oblige les gens à quitter le parc et qu’ils retournent sous les ponts, ils ne vont pas se désinfecter les mains, fait-il remarquer. Même si leur présence en a incommodé certains, « ça a causé moins de tort que l’alternative », juge le travailleur communautaire.

Comme les autres rencontrés au square, « le Che » n’a pas peur d’attraper la COVID-19.

« Ici, les gens de la rue, ils ne s’en font pas trop avec ça. On en a vu d’autres », a-t-il lancé.

Il s’est malgré tout fait tester deux fois, lorsqu’il a dû aller à l’hôpital pour d’autres problèmes de santé.

Marc, lui, s’est fait tester trois fois. Il n’était pas malade, mais « on peut l’avoir et être asymptomatique, tu sais ». Outre ça, la COVID n’a rien changé dans sa vie. « Mais je ne partage plus mes cigarettes », a confié l’homme au visage ridé et à une élégante moustache blanche.

Dans le parc, les gens socialisaient, buvaient un café. Ils ne portent pas tous un couvre-visage et certains se touchaient en parlant.

Sensibiliser les itinérants aux risques posés par la COVID et les inciter à pratiquer la distanciation a présenté des défis, a confié David Chapman.

« La population de sans-abri est habituée à un haut niveau de risque. Ils ont vu leurs amis mourir d’overdoses ou de froid sous un pont. »

C’est juste une chose de plus dans leur vie, explique-t-il en distribuant des sourires et des « fist bum ».

La température estivale a offert une pause. Mais des refuges temporaires ont graduellement cessé d’opérer au cours de l’été. Les itinérants s’inquiètent de l’automne et d’une deuxième vague de la COVID qui va leur fermer au nez des endroits où ils pouvaient trouver un peu de répit.

David Chapman réussit à voir un aspect positif à cette pandémie malgré les dégâts qu’elle a causés : il juge que cela a ouvert les yeux des gens à la réalité des sans-abri. Parce que quand tous restaient chez eux pour éviter le virus, les itinérants étaient bien visibles, souvent les seuls dans les rues, car ils n’avaient pas ce luxe « de rester à la maison ».