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Les femmes sont les plus frappées par la récession

La crise économique qui a accompagné la pandémie a touché plus durement et plus longuement les femmes, au point où elle a été rebaptisée de récession au féminin.

Les trois femmes sourient à la caméra.

0De gauche à droite, Manel Rais, Mélissa Mailloux et Carolyn Lancelle souffrent de la crise économique qui accompagne la pandémie.

Photo : Gracieuseté

La crise économique qui a accompagné la pandémie au Canada a touché plus durement et plus longuement les femmes, au point où elle a été qualifiée de récession au féminin. Les plans de relance ne semblent pas prendre la mesure de cette particularité, de l'avis de nombreux experts.

L’entrevue avec Manel Rais, toute nouvelle résidente de Calgary, n’aura duré que 15 minutes, mais elle avoue que cela a été une bouffée d’oxygène. Depuis son arrivée au Canada, l’Algérienne n’a pas eu un moment de répit sans son fils. 

Manel Rais, mère célibataire, a débarqué juste avant la fermeture des frontières. En quelques jours, toutes les garderies et les écoles de Calgary ont fermé leurs portes. Son enfant de 7 ans s’est retrouvé sans moyen d’intégration, et elle, sans possibilité de trouver un travail. 

Je voulais faire une formation, je me suis renseignée, mais, malheureusement, je suis tombée dans un autre problème : je suis seule avec mon fils, les garderies sont fermées et je ne connais personne , explique la jeune femme. 

Pas de garde d'enfant, pas d'emploi

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Une représentation du coronavirus.

Sans école, sans camp de jour et sans soutien familial, Manel Rais ne peut travailler ni entreprendre les démarches pour la recherche d’un emploi. Une situation qui risque vite de devenir intenable. J’ai ramené une somme d’argent avec moi, mais ce n’est pas évident, je dois trouver un boulot, s’inquiète-t-elle.

Manel Rais n’est, bien sûr, pas seule dans cette situation. À plusieurs centaines de kilomètres, à Victoria, en Colombie-Britannique, Mélissa Mailloux fait face au même dilemme, ou plutôt à l’absence de choix. 

Agente de bord à Air Canada Express, la jeune femme s’est vu offrir de reprendre le travail au début du mois de juillet, mais elle a dû décliner cette offre. Avec le nombre de vols annulés, elle risquait de perdre plus d’argent que d’en gagner et personne n’aurait pu garder la fille de 6 ans de son compagnon. Si l’école ne recommence pas, je suppose que je vais quitter mon emploi [...] À ce point-ci, ce n’est pas vraiment un choix, ce n’est pas vraiment une option. Il faut faire ce qu’il faut faire , conclut-elle.

La She-cession

Les situations se multiplient à travers le pays par dizaines. La crise économique a même été rebaptisée She-cession en anglais, ou récession au féminin.

Normalement, dans une récession traditionnelle, la perte d’emploi se fait dans des secteurs qui sont masculins comme la construction ou l’industrie manufacturière. Ici, les secteurs les plus touchés sont le secteur hôtelier, les loisirs et l’éducation, explique Daphné Baldassari, chercheuse associée à l’Institute for Gender and the Economy, à l’Université de Toronto. La disparition des services de garde a fait aussi que les femmes ont dû prendre ce fardeau considérable et doivent travailler à la maison, ce qui représente environ 10 heures de travail supplémentaires.

Même quatre mois après le début de la pandémie et le début des mesures de déconfinement, les femmes en paient encore plus lourdement le prix. 

Selon les dernières données de Statistique Canada, chez les mères dont l'enfant le plus jeune était âgé de 6 à 17 ans, l'emploi est demeuré inférieur d'environ 5 points de pourcentage au niveau observé avant la COVID-19.

Même si ces données n’étonnent pas Mme Baldassari, elle est inquiète. En ce moment, on a des sondages qui essayent de voir comment les femmes se préparent à cette relance et à l’automne et les premières indications font craindre qu’il y ait beaucoup de femmes qui n'envisagent pas de retourner au travail directement , déplore la chercheuse.

C’est affolant parce qu’on peut retourner en arrière sur les progrès qui ont été faits.

Une citation de Daphné Baldassari, chercheuse associée

Séparées par des centaines de kilomètres et des situations différentes, Manel Rais et Mélissa Mailloux proposent la même solution : améliorer la garde d’enfants. 

Manel Rais est assise sur un banc dans un parc.

Manel Rais a absolument besoin que l'école reprenne en septembre pour trouver un travail et un moyen de subsistance.

Photo : Radio-Canada / Tiphanie Roquette

Le gouvernement fédéral maintient que les 14 milliards de dollars alloués aux provinces doivent servir à aider les garderies à rouvrir. 

En Alberta, le gouvernement provincial a offert près de 18 millions de dollars de subvention aux garderies pour compenser les coûts de nettoyage et les autres frais de réouverture. Il a également lancé une consultation sur l’offre de service. 

Selon la présidente de YW Calgary, Sue Tomney, le gouvernement est sur la bonne voie. Un groupe de travail prend du temps, mais il faut aussi s’assurer de prendre les bonnes décisions. Il faut du temps pour tester et s’ajuster, affirme-t-elle.

La professeure associée d’économie de l’Université de Calgary Lindsay Tedds est loin d’être de son avis.

C’est une politique des années 1970 pour les années 1970.

Une citation de Lindsay Tedds, professeure associée

Il n’y a eu aucune reconnaissance des effets ressentis et du type de projets qui nous aidera à relancer l’économie. On a investi 18 millions de dollars dans les garderies sans concertation et le message qui accompagnait cet investissement était que l’on voulait revenir à l’ère pré-COVID. Mais l’ère pré-COVID n’est pas un objectif à atteindre. L’Alberta a un des taux de participation des femmes dans le marché du travail le plus bas, martèle Mme Tedds. 

La construction, premier bénéficiaire de la relance

Il faut dire que le premier ministre Jason Kenney est ambivalent sur la question. D’un côté, il vante l’investissement dans les garderies, mais, de l’autre, il ne veut pas faire de distinction en matière de genre pour ce qui est de la relance économique. 

C’est essentiel d’avoir la croissance économique pour tous les secteurs et pour toute l’économie. On ne peut pas mettre l’accent exclusivement sur certains Albertains ou Albertaines, a-t-il dit. Il y a des jeunes hommes en Alberta qui sont chômeurs depuis 45 ans.

Sugar Sammy entame une tournée pancanadienne en s'arrêtant à Winnipeg.

Doublement d’autoroutes, construction d’oléoducs et de gazoducs, rénovation de bâtiments… le premier ministre multiplie les annonces pour créer des emplois dans la construction, un secteur où les femmes représentent environ 7 % des travailleurs.

Sue Tomney, de YW, estime que c’est justement le moment de renverser la tendance en favorisant la formation des femmes dans les sciences, les technologies et l’artisanat.

Mais ont-elles le temps d’attendre aussi longtemps? Aux yeux de Carolyn Lacelle, d’Airdrie, la réponse est clairement non. Cette mère de trois enfants travaille dans un domaine typiquement féminin : elle a une garderie familiale. 

À cause de la pandémie et des pertes d’emploi, sa clientèle s’est amenuisée. Elle ne perçoit plus qu’un tiers de son revenu précédent. Son entreprise est à la fois trop petite pour percevoir les aides fédérales et trop lucrative pour bénéficier de la Prestation canadienne d'urgence. 

On a gratté toutes les économies, on a annulé nos vacances… On dirait que de semaine en semaine, on se sent de plus en plus mis sous l’autobus. On sent la pression et la difficulté financière, raconte-t-elle. 

Je n’ai aucune idée. Je vois les heures des mamans se faire couper plus que les heures des papas. On sent un peu… oui, délaissées. Je pense que beaucoup de femmes de carrière se sentent délaissées par leur employeur, ajoute-t-elle.

Pas de relance sans école

Si la chercheuse associée Daphné Baldassari observe de bons points dans le plan de relance de l’Alberta, elle note qu’il a le même défaut que celui des autres provinces :   Il faut qu’on incite à avoir un plan de relance des écoles qui soit au coeur de notre plan de relance économique et qui ne soit pas séparé, et ça, je ne l’ai pas assez vu.

Lindsay Tedds fait une entrevue dans un bureau de l'École de politiques publiques de l'Université de Calgary.

La professeure Lindsay Tedds croit que la relance passe par un investissement dans les écoles et la petite enfance.

Photo : Radio-Canada

Contrairement au Nouveau Parti démocratique albertain ou à la Fédération albertaine du travail, Lindsay Tedds ne croit pas forcément à la mise en place d’un système de garde universel à la québécoise, mais elle plaide pour un investissement plus important dans la petite enfance et l’éducation. Les écoles vont avoir besoin d’un montant impressionnant pour créer un environnement sécuritaire pour les enfants, mais aussi le personnel. La beauté de cet investissement, c’est que cela soutient non seulement le travail des femmes, mais aussi les emplois traditionnellement plus masculins de la construction, souligne-t-elle. 

Sa confiance dans une action gouvernementale est toutefois faible. En fait, la probabilité est proche de zéro, mais les gens le comprennent maintenant. [...] Chaque parent au Canada comprend maintenant à quel point [cet investissement] est important pour leur participation dans l’économie, assure-t-elle.

Cela a été un tournant et, si les gouvernements ne le comprennent pas, ils en paieront le prix aux urnes.

Une citation de Lindsay Tedds, professeure associée
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